Le pont dormant est par définition un pont fixe en opposition à la mobilité du pont-levis. Il est établi sur un fossé et intégré à l’ouvrage fortifié dont il est généralement un des rares accès possibles.
Suivre les modifications subies par le pont dormant du Fort de Bron au cours de son histoire est un précieux éclairage sur l’évolution de ce type d’ouvrage militaire, le rôle du Fort de Bron ayant évolué depuis sa construction jusqu’à nos jours.
Le pont dormant et sa fonction défensive
Dès 1874, Le fort de Bron a été construit en tant que fort détaché destiné à défendre la place de Lyon, son rôle étant de barrer la route à d’éventuels assaillants venant de la plaine du Dauphiné. Le pont dormant du Fort de Bron, seul accès possible au Fort, enjambe le fossé au front de gorge, le côté « arrière » du Fort, le coté le moins exposé. Sa structure, dès l’origine, est réalisée avec une charpente en bois. Les piliers en bois prennent appui au fond du fossé sur une base en maçonnerie .
La présence des piliers qui supportent le tablier peut gêner les tirs de projectiles pratiqués pour défendre le fossé (tirs de flanquement). Cependant, on peut penser que lors d’une attaque, la destruction du pont peut réduire l’accessibilité à la porte d’entrée.
C’est sur ce type de pont que les occupants du Fort traversent le fossé jusqu’à la fin du XIXème siècle.
Le pont dormant évolue avec la fonction du Fort
A la fin du XIXème siècle, suite à l’évolution de l’artillerie, le fort de Bron a perdu son rôle initial. Sa nouvelle destination est alors principalement de servir d’entrepôt de matériel et d’armement ou d’accueillir pour quelques temps des petites troupes de soldats.
Mais, les matériaux du pont ont vieilli et montrent des signes de faiblesse. Dès 1898 il faut l’étayer, le consolider : sa réfection s’impose à bref délai. Le capitaine du génie J. Cerf est le chef de chantier chargé de sa reconstruction.
Suite aux travaux, Il rédige son rapport. Nous retrouvons actuellement ce témoignage ainsi que plusieurs documents photographiques de la reconstruction du pont dans la « Revue du génie militaire » de 1901 (Source Gallica / revue du Genie Tome XXI Janvier 1901 p.491-500)
On apprend dans ce document que l’on envisageait dans un premier temps de reconstruire le pont sur poutres métalliques mais que finalement le choix se porta sur une construction en béton armé. Extrait du rapport du Capitaine du génie J. Cerf: « Un examen comparatif montra qu’un pont sur poutres métalliques ne couterait pas moins de 17 000 Fr (somme qui aurait été certainement dépassée, en raison de la hausse du prix des métaux de 1899) tandis qu’un pont en béton armé n’atteindrait que 11 000 Fr ».
En effet, à cette date, de nouvelles techniques de construction se développent, en particulier des constructions en béton armé. François Hennebique est un entrepreneur qui s’intéresse à l’alliance du fer et du ciment. Considéré comme l’inventeur du béton armé, il élabore le système de construction en fer et béton qui portera son nom.
C’est ainsi qu’en août 1900, le rapport du Chef de chantier nous précise qu’ « A la suite, d’un concours restreint, un marché de gré à gré fut passé avec un entrepreneur concessionnaire du système Hennebique ». Le marché fut conclu avec le Chef du Génie de la place de Lyon, le 20 août de cette même année.
Autre témoignage, le magazine « le Béton Armé » d’avril 1901 n°35 » complète les informations et fournit des photos de la reconstruction. Le pont fut réalisé par M Pérol, un entrepreneur concessionnaire du système Hennebique, le Commandant Lenoir étant l’ingénieur-architecte du projet. La structure du pont est calculée pour supporter des charges roulantes très importantes de l’artillerie de forteresse.
Le béton utilisé est composé à partir de graviers du Rhône, de sable de la Saône et de ciment Portland artificiel des usines de la Porte-de-France à Grenoble. Les armatures, poutres et poutrelles sont réalisées en Fer du commerce n°3. Les garde-corps existants ont été réutilisés.
Le pont franchit le fossé en trois travées de 10 mètres de portée chacune sur une largeur de 4, 60 mètres avec des trottoirs de 80 cm de largeur. L’entrepreneur confectionna un coffrage général du pont.
Les faces apparentes du pont furent lissées au pinceau et quelques motifs de décorations furent réalisés par des enduits au ciment. Ces décorations sont toujours visibles aujourd’hui.
La construction dura 3 semaines. Le travail est terminé en décembre.
Le 29 et 31 décembre 1900, le pont subit des « épreuves de réception » dont on peut suivre les détails grâce au rapport du Capitaine J.Cerf. C’est ainsi qu’une charge de 400Kg par mètre carré de graviers fut placée sur toute la surface du pont soit plus de 55 tonnes.
Puis, après avoir débarrassé le pont de sa surcharge, on y fit circuler un chariot tiré par trois chevaux chargé de 6 tonnes de sacs de chaux. Les essais furent concluants en répondant positivement aux résultats attendus.
Finalement, le pont fut reconstruit pour un prix de 9000 Francs auxquels il a fallu ajouter 3000 Francs pour la démolition et la mise en place d’un accès provisoire.
Le fort quitte son passé militaire
Le fort perd ensuite de son intérêt pour l’armée. Le pont dormant franchit un fossé où la végétation s’est développée et a envahi le Fort.
En 1975, la COURLY se porte acquéreur du Fort dans le but de construire des réservoirs d’eau pour alimenter l’est lyonnais
L’intérêt pour le patrimoine se développe. L’Association du Fort est créée en 1982.
Des travaux sont réalisés, les fossés nettoyés. Le pont a été sécurisé par de nouvelles rambardes.
Place aux visiteurs. Les années suivantes, les rambardes ont été surélevées et leur couleur modifiée. (voir photo)
A l’entrée du pont, sur le côté gauche, le visiteur peut s’interroger sur la présence d’une borne. A l’origine, il existait deux bornes. Elles permettaient de délimiter la largeur des véhicules empruntant le pont. Ainsi, le véhicule qui passait entre les deux bornes était capable de franchir la porte d’entrée du Fort située à l’autre extrémité.
Le pont dormant en 2018 : le béton s’effrite, plus question de laisser circuler des véhicules sur le pont. La municipalité entreprend la pose de filets de sécurité avant de procéder à des travaux de conservation.
Pose des filets sous le pont dormant (Ph. Association du Fort de Bron .GC 2018)
2019 : Un chemin paysagé dirige les visiteurs vers le pont. La borne déplacée sera conservée avant d’être remise en place.
2021 – le 1er juillet, deux bornes chasse-roues ont repris leur place à l’entrée du pont dormant remis en état.
L’évolution du pont dormant au cours de l’Histoire du Fort de Bron comme le nouvel aménagement de l’arrivée au Fort est un témoin parlant de l’attrait de notre époque pour la conservation du patrimoine historique.
Références
- Gallica « Revue du Genie » – 15 année Tome XXI ( 1° Semestre 1901 ).
- Magazine « Le béton armé » – Organe des Concessionnaires et Agents du Système HENNEBIQUE : Le béton armé – Avril 1901 – Numéro 35
- Revue » Les grandes usines de Turgan » – juin 1892
- Fort de Bron: « Les pierres témoigneront » – Chavanne André; Pallas Raphaël; Vincent Serge; Lebel Pierre, Guillemot Annie (2013), Association du Fort de Bron (ed.),
- Rapport projet d’aménagement C.E.M.U. Bron 1978