Les locaux disciplinaires ou locaux de punition* reçoivent les militaires qui, selon leurs chefs, ont commis des fautes contre la discipline ou des infractions aux règlements ne présentant pas une gravité suffisante pour être déférés aux tribunaux.
(* Terme utilisé pour les locaux disciplinaires à cette époque. Ref. « projet de répartition des locaux dans le fort de Bron » en date du 2 novembre 1876).
Les locaux de punition au Fort de Bron
Au Fort de Bron, ces locaux de punition ont été placés à l’angle gauche, au bout du tunnel qui relie la cour du parados à la cour du cavalier.
Dans le bas du tunnel menant à la cour du Cavalier, une porte en bois à deux vantaux donne accès au vestibule des locaux disciplinaires.
Au plafond du vestibule, un puits de lumière permet l’éclairage et l’aération des locaux. Ce puits est muni d’une grille, probablement pour éviter les évasions. Débouchant à l’extérieur, il était alors surmonté d’un lanterneau, toit vitré à charpente métallique légère.
A droite de l’entrée, on découvre deux salles de police ( cellules collectives ) et à gauche, quatre cellules individuelles.
La salle de police
Chaque salle de police reçoit la lumière par une fenêtre munie de barreaux donnant sur la cour du cavalier. Sur la longueur, se trouve un bât-flanc, c’est-à-dire une banquette de 3,90 m de long sur 2 m de large. Selon la norme de l’époque, sur cette banquette peuvent tenir plusieurs hommes à raison de 70 cm de large chacun [1].
Les soldats, en hiver, ont droit à une couverture, en général celle de leur chambrée. Exceptionnellement une demie couverture supplémentaire est fournie en temps de froid intense. Aucun chauffage n’est prévu dans les locaux disciplinaires.
Dans un coin de la pièce, un réduit de 0,80 L x 0,60 l x 0,95 H a été aménagé pour placer les « tinettes » ou ,comme il est dit à l’époque, les bacs de propreté. Une cheminée, percée dans le plafond, permet l’aération et l’évacuation des mauvaises odeurs.
A la fin du XIXème siècle, l’armée est très soucieuse de l’hygiène. Un décret du 28 décembre 1883 émanant du service intérieur des troupes d’artillerie [2] rappelle que les salles de discipline doivent être spécialement surveillées au point de vue de la propreté, de la ventilation et de la disposition du baquet de propreté. Les odeurs qui se dégagent du baquet sont corrigées par l’addition d’huile lourde de houille [3] .
Les puits d’aération débouchent à l’extérieur. Ils sont surmontés d’un chapeau » disposé de telle sorte que l’air s’échappe sans remous dans toutes les directions et que la pluie et la neige ne puissent cependant pénétrer par les orifices ménagés » [4]
La cellule individuelle
Chaque cellule individuelle est équipée d’une banquette de 2 m de long sur 0,70 m de large et d’un réduit pour le bac de propreté. Une fois la porte fermée, la cellule se trouve pratiquement plongée dans le noir, malgré une petite ouverture pour la ventilation et l’aération.
La discipline militaire
Les règlements intérieurs donnent une définition de la faute, comme par exemple : « Pour manquer à l’appel du soir, pour mauvais propos, désobéissance, querelles, dettes, … » le soldat est puni de salle de police [2]
La discipline est particulièrement rigoureuse pour les nouvelles recrues. Il s’agit de leur faire prendre conscience de la nécessité de se plier à la règle et d’obéir aux ordres sans discuter. Ces brimades, ressenties comme telles, sont sensées avoir des vertus pédagogiques.Ainsi d’après le journal l’illustration , à la caserne, le soldat Garou a écopé de 4 jours de consigne pour avoir jeté du deuxième étage une cuvette d’eau sale par la fenêtre au moment où le sergent Létrille passait. Pour les petites fautes, les punis sont envoyés en salle de police. La durée ne peut excéder trente jours. Pour les fautes plus graves, ils font un séjour en cellule individuelle. (Echelle des punitions / décret du 28 décembre 1883)
Dans certains cas la sanction peut être renforcée par un supérieur. Tel est l’exemple d’Alcide Rucquois, soldat du 8ème régiment d’infanterie. Surpris le 24 mars 1879 en état d’ébriété, puni par son sous-lieutenant de 8 jours de salle de police, la punition est augmentée de 7 jours supplémentaires par le colonel.[4]
Depuis 1790, les châtiments corporels sont interdits. Mais, après la guerre de 1870, la discipline a été renforcée du fait de la défaite et du recrutement massif. Ce n’est qu’à partir des années 80 puis avec le général Boulanger (ministre de la guerre) que la condition du soldat s’améliore et la discipline se fait moins rigoureuse. Ainsi pour une erreur dans le paquetage ou pour un lit mal fait le soldat n’encourt plus que deux jours de consigne contre quatre précédemment.
Les conditions de vie dans les locaux
Les soldats punis de salle de police
Les soldats participent à toutes les activités de la journée mais le soir dorment en salle de police. Ils ne peuvent sortir de la caserne et ne peuvent se rendre en ville. Ils perdent toute liberté [5] . En plus des exercices prévus quotidiennement, ils doivent effectuer des corvées supplémentaires souvent les plus salissantes et les plus ingrates. Ils doivent effectuer, deux fois par jour, 3 heures de peloton de punition [6]. Ce peloton impose des exercices d’assouplissement, le maniement des armes et de la course au pas de gymnastique.
Le soldat puni ne doit pas se croire en vacances, comme le montrent certaines caricatures de l’époque. Ces exercices, ressentis comme des brimades par la troupe, ont pour but de fatiguer le soldat, de briser sa volonté donc de l’inciter à obéir sans discuter.
Le soldat puni de cellule individuelle
Le soldat reste dans ce cas à l’isolement toute la journée et vit dans l’obscurité. Il ne sort que le soir pour des corvées dégradantes. Il ne peut communiquer avec les autres détenus. Comme pitance, pour la journée, il n’a droit qu’à du pain, une soupe sans viande. Il ne reçoit pas sa ration de café, de vin, de tabac. Il ne perçoit pas les centimes de poches qui sont versés à l’ordinaire de sa compagnie.
Il est libéré après les autres s’il a écopé de plus de huit jours de cellule. Pour lui « la quille »est d’autant reportée. Il doit faire du « rabiot ».
Les locaux de punition de nos jours
Dans le Fort de Bron, les locaux disciplinaires offrent un bel exemple de restauration et de reconstitution. Les éléments en bois, portes, bât-flancs, avaient disparu, brûlés par des squatteurs.
Des membres de l’Association du Fort de Bron ont entrepris dans les années 2011-2012 de rendre à ces lieux leur aspect originel.
Actuellement, l’ensemble des locaux fait partie intégrante des visites organisées par l’Association et permet d’appréhender concrètement la rude discipline imposée aux militaires à la fin du XIXème siècle.
Des graffitis sur les murs rappellent également aux visiteurs l’occupation des lieux durant la seconde guerre mondiale (Voir l’Histoire du Fort de Bron).
Sources:
[1] Goestchy, page 115 – Les locaux disciplinaires – Cours de constructions. 4e partie,2e section, 3e fascicule. Ameublement – Ecole d’application de l’artillerie et du génie. – 1884 – Service Historique de la Défense.
[2] Article 319 – p 215 – Décret du 28 décembre 1883 portant règlement sur les troupes de l’artillerie et du train des équipages militaires – Imprimerie Nationale- Librairie Militaire de Berger-Levraux et Cie .
[3] Article 274 p.273 – Décret du 28 décembre 1883 portant règlement sur les troupes de l’artillerie et du train des équipages militaires – Imprimerie Nationale- Librairie Militaire de Berger-Levraux et Cie .
[4] Organisation de détail de la fortification actuelle – 2ème section – détails des fortifications construites de 1870 à 1885– Goetschy 1894 . – Gallica
[5] ROYNETTE, ODILE, Bons pour le service / à caserne à la fin du XIXe siècle – PARIS- Editions Belin – Nouvelle édition 2017
[6] Article 334 p. 235 – Décret du 28 décembre 1883 portant règlement sur les troupes de l’artillerie et du train des équipages militaires – Imprimerie Nationale- Librairie Militaire de Berger-Levraux et Cie .
[2-3-5] Les différents articles du décret du 28 décembre 1883 – accès direct – Gallica