
Carnet de voyages : Sur les pas de Séré de Rivières
La première page de notre carnet de voyage vous entraine dans la visite d’une forteresse alpine, noyau du dispositif stratégique de la vallée de l’Ubaye : le Fort de Tournoux.

Implantés sur un éperon rocheux, à la confluence des vallées de l’Ubaye et de l’Ubayette, les bâtiments du fort, majestueux et accrochés à la pente abrupte, attirent immanquablement l’attention du voyageur qui emprunte la D900 par leur importance et leur implantation digne des monastères tibétains. L’ensemble des fortifications se développe en effet sur près de 700 mètres de dénivelé, de la vallée à 1330 mètres d’altitude jusqu’à 1690 mètres, au point le plus haut des fortifications.
Un peu d’histoire
La construction de l’ouvrage initial, décidée en 1837 par le général Haxo, responsable des fortifications sous la monarchie de Juillet, commence en 1843 pour s’achever en 1866 et 1 500 ouvriers y participent. C’est donc depuis le milieu du XIXe siècle, que le site du Tournoux constitue le noyau dur du dispositif stratégique de la vallée de l’Ubaye.
À la fin du XIXe, le général Séré de Rivières décide de renforcer le dispositif existant par des ouvrages supérieurs culminant à plus de 1 800 mètres d’altitude. C’est ainsi que sont édifiées les batteries de Vyraisse, de Mallemort, du Cuguret, et la redoute de Roche-la-Croix. Les hommes du Génie doivent percer le rocher pour creuser des tunnels de liaison entre les parties hautes de la forteresse, et le téléphérique qui relie la batterie haute et le fort moyen à la vallée en contrebas. En 1880, la batterie des Caurres est bâtie à 1780 m d’altitude pour défendre les hauteurs ; entourée d’une enceinte à fossé, elle est reliée au fort supérieur par des grilles et un fort crénelé, ainsi que par une galerie creusée dans le roc.
Lors de la Première Guerre mondiale, le fort va héberger, le temps de leur formation militaire des unités de volontaires serbes avant qu’elles ne soient envoyées combattre, puis, la guerre terminée, sert de lieu d’internement pour des officiers allemands. En juin 1940, le fort devient le PC des unités qui défendent la vallée de l’Ubaye et connaît, à cette occasion, le baptême du feu, joignant ses pièces tirs d’artillerie à celles des ouvrages plus modernes de la Ligne Maginot pour contrer l’avance des troupes italiennes.
En avril 1945 enfin, le fort va servir de camp de base aux troupes alliées lancées à l’attaque des ouvrages de Saint-Ours et de Roche-la-Croix pour les reprendre aux Allemands qui les occupent. La guerre terminée et jusqu’en 1987, le fort perdra définitivement toute fonction défensive et ne servira plus que de dépôt de munitions.
Un ensemble architectural complexe
Disposé en escalier sur une arête, le fort de Tournoux est parfois comparé à une muraille de Chine miniature ou, plus souvent, à une lamaserie tibétaine, L’ensemble défensif, organisé autour d’une caserne et de batteries casematées, se compose de la batterie B12, d’un ensemble de casemates d’artillerie creusées dans la roche, du fort moyen et du fort supérieur, achevés en 1865.
Le fort supérieur, relié au fort moyen par une route sinueuse, est doté d’un bâtiment de forme carrée, et dispose d’un tunnel conduisant à une double caponnière. L’escarpe est dotée de casemates voûtées et des locaux troglodytes à vocation logistique ont été aménagés à l’intérieur de cavernes creusées dans la roche.
Le fort moyen a été complété par une batterie casematée en 1934. Surnommé le « Versailles militaire du XIXe siècle », souvent comparé à une muraille de Chine miniature ou à une lamaserie tibétaine.
C’est le fort moyen et la Batterie des Caurres que visitent les touristes.

Rendez-vous a été pris ce matin sur le parking près du chalet d’accueil touristique. On aperçoit une ancienne bâtisse qui servait d’écurie et accueille aujourd’hui des spectacles, et quelques aménagements militaires en mauvais état. Notre guide s’appelle Noé et c’est en 4×4 que nous rejoignons, par la route puis par la piste forestière, le fort intermédiaire. Le sentier pédestre est tracé sur la contrescarpe et le visiteur longe les fossés, profitant d’un premier coup d’œil sur les caponnières.
Visiter le fort moyen
Après s’être engagé sur le pont de bois fixe qui franchit le fossé, supporté par une structure métallique, le petit groupe s’arrête devant le portail rouillé qui permet l’accès au site. Les chaînes ôtées, on entre dans une cour envahie d’herbes folles.
Quelques bâtisses effondrées, une série d’abris voûtés, le fort a souffert des ans et des intempéries. La visite commence par la position de la batterie supérieure composée d’un talus de banquette avec deux rampes obliques et d’un parapet protégé par un talus. On y trouve trois abris traverses destinés à mettre les servants à l’abri des coups de revers ou d’enfilade et à protéger les soldats qui avaient charge de fabriquer, au fur et mesure des besoins, les obus. Un passage était creusé qui reliait chaque casemate à la position d’artillerie, permettant l’approvisionnement des canons en munitions et l’évacuation des douilles usagées. Chacun de ces abris voûtés était largement ouvert sur l’arrière afin de libérer la force du souffle en cas d’explosion imprévue des munitions en cours de fabrication et éviter l’explosion de la casemate. Une cheminée cylindrique complétait le dispositif de sécurité, destinée à l’évacuation des émanations délétères des produits hautement instables.
L’armement proprement dit, consistait en quatre canons de Bange de 90mm au tube d’acier rayé se chargeant par la culasse et de cinq canons de 95mm Latiholle installés sur la plateforme.
Par beau temps, les visiteurs profitent d’une vue dégagée et découvrent, au-delà de la vallée de l’Ubaye, les massifs du Queyras, de la Tinée, le Pic de Chambreyron, les cols de Larches, de la Cayolle, d’Allos ou de la Bonette et les autres sommets de moindre altitude qui matérialisent la frontière italienne. On aperçoit clairement, nombre de points hauts couronnés de forts, de batteries ou de postes d’observation. Tous à une distance calculée permettant de communiquer par signaux. Parmi ceux-ci les batteries de Saint-Ours haut et Roche-la-Croix qui faisaient partie de la Ligne Maginot. Seul Saint-Ours se visite, la route qui mène à Riche-la-Croix s’étant effondrée..
En empruntant un passage dans la muraille à demi-écroulée on rejoint les chambrées. Elles sont installées dans de longues pièces voûtées aux murs de pierres cimentées. Si les portes ont disparu, les lits sont encore en place, dans un excellent état de conservation.
Chaque chambrée est éclairée par une fenêtre découpée dans le mur du fond de la pièce. Une cheminée est percée au centre de la voûte, destinée à l’aération de cet espace confiné. Près des chambrées, on a creusé un puits à la margelle de pierre recouverte d’un enduit de ciment clair, afin d’assurer le ravitaillement en eau des casernements.
Un tunnel donne accès au bâtiment qui abrite l’arrivée du téléphérique. Il ne s’agit plus de l’équipement d’origine, installé à la fin du XIXe siècle. Devenu obsolète et insuffisant pour les besoins de la batterie, il a été remplacé, modernisé et électrifié en 1937, bien longtemps après qu’ait disparu Séré de Rivières. Les câbles sont toujours en place, qui plongent jusqu’au fond de la vallée, auxquels est suspendue une plateforme destinée au transport de marchandises ou de personnels, le cas échéant.
Ce téléphérique, de type « bicâble, va-et-vient et à station inférieure motrice », permet de relier le dépôt proche de la caserne des Condamines, au fond de la vallée, avec la batterie, 445 mètres plus haut. Il n’y a qu’un seul pylône intermédiaire de 22,50 m de haut en plus des pylônes des station de départ et d’arrivée.
En continuant la descente à travers bois on aperçoit les latrines des officiers et, en longeant un ensemble de bâtiments aux toitures effondrées, le cantonnement des gradés, on rejoint la l’entrée de la grotte qui donne accès au magasin à poudre. Notre guide a ouvert une lourde grille métallique Sur la voûte à droite de l’entrée une date est inscrite, peinte en noir sur le calcaire blanc : 1889.
Au fil des ans, les soldats cantonnés là ont laissé des traces de leur passage, gravées dans la pierre tendre, Dans de petits cartouches, on lit encore, avec peine, des noms et des dates, dégradés par des mains irrespectueuses.
On descend encore quelques pentes par un sentier qui mène au point le plus bas du fort moyen. C’est la la poterne avec son pont glissant. Le système est toujours parfaitement opérationnel. On le fait coulisser à la main depuis un espace situé au-dessous du niveau du sol mais si la mise en place est aisée, rails et galets sont bien entretenus, l’effacement du pont, en l’absence de personnels dans le fort, est plus acrobatique.






Accroché aux pierres du mur en équilibre instable, Noé repousse du pied le tablier de bois, à la grande joie des visiteurs qui photographient la scène.
Quelques dizaines de mètres de sentier et l’on atteint le portail bas. On a envie de jeter un coup d’œil par les espaces prévus dans le blindage, mais la forêt est calme, nul attaquant à l’horizon. Le fort peut se rendormir, tranquille, jusqu’à la prochaine visite.
Biblio :
« Le fort de Tournoux, son histoire, sa construction ». Bernard Morel & Thierry Noyez. Cahiers de la Vallée, Association pour la valorisation du patrimoine de l’Ubaye. 2017
Renseignements et visites
Le fort de Tournoux et les principaux ouvrages de la vallée de l’Ubaye sont ouverts au public. Des visites commentées sont organisées en saison.
Office du tourisme de la communauté de communes de l’Ubaye :
4, avenue des trois frères Arnaud 04400 Barcelonnette
Tél. 04 92 81 03 68
Fax 04 92 81 51 67
E-mail : info@ubaye.com
Accès à Barcelonnette : à 85 km de Digne-les-Bains, par la D 900 et & 100 km de Briançon, par la N 94, puis la D 954 (via Savines-le-Lac), et la D 900.
12 04 2025 – 89 / 19 04 2025 – 134